« Les juges de l’application des peines face à la réinsertion des personnes condamnées. Une immersion dans la fabrique législative et la pratique judiciaire du droit de l’exécution des peines privatives de liberté »
Entre octobre 2015 et janvier 2019, Olivia Nederlandt a réalisé une recherche doctorale dans le cadre d’un mandat d’aspirante FRS-FNRS, sous la promotion des professeur·es Yves Cartuyvels et Christine Guillain. La thèse a été déposée le 13 janvier 2020 (858 pages) et a été soutenue publiquement le 13 mars 2020.
La recherche doctorale intitulée « Les juges de l’application des peines face à la réinsertion des personnes condamnées. Une immersion dans la fabrique législative et la pratique judiciaire du droit de l’exécution des peines privatives de liberté » se divise en deux grandes parties.
La première partie de la thèse, intitulée « La fabrique législative de l’exécution des peines privatives de liberté : analyse des incitants et des résistances à la judiciarisation », pointe les raisons historiques et politiques pour lesquelles la matière de l’exécution des peines privatives de liberté a été judiciarisée et analyse les résistances à la réalisation complète de cette judiciarisation. Une étude documentaire des sources du droit classique a été réalisée (législation et documents parlementaires, doctrine et jurisprudence publiée) à cet effet. Trois constats se dégagent de cette première partie. En premier lieu, il a été mis en évidence que la judiciarisation de la matière a toujours été et reste une question controversée, et que celle-ci n’a pu progresser qu’à trois conditions : être multidisciplinaire, prévoir une procédure souple et impliquer l’administration pénitentiaire. En second lieu, différentes « ruptures » dans le régime actuel de l’exécution des peines ont été identifiées comme mettant à mal la philosophie du régime organisé par les lois pénitentiaires (notamment une déconnexion entre statut juridique interne et externe des personnes condamnées et une rupture entre les stades de fixation et d’exécution de la peine) et aboutissant à la persistance d’une « crise de l’exécution des peines ». Des tentatives d’explication de ces ruptures ont été avancées (le manque de lisibilité du droit pénitentiaire ainsi que l’éclatement des compétences et l’insuffisance de la concertation au sein d’une justice en réseau). En troisième lieu, au vu des dysfonctionnements actuels, des pistes de réforme de la matière ont été proposées – tout en formulant une réserve : une entreprise de réforme entraîne le risque d’encourager le recours au pénal en le légitimant.
La seconde partie de la thèse, intitulée « La pratique judiciaire de l’exécution des peines privatives de liberté : enquête auprès des tribunaux de l’application des peines », présente les résultats d’une recherche empirique menée au sein des dix chambres des six tribunaux de l’application des peines (TAP) de Belgique (Bruxelles francophone et néerlandophone, Liège, Mons, Gand et Anvers) entre mars 2016 et septembre 2017 (étude de 150 dossiers et observation de 44 audiences durant lesquelles 568 dossiers ont été traités). S’il n’est pas possible de faire état ici de la méthodologie de la recherche, il est intéressant de souligner la particularité du positionnement de chercheuse, à savoir celle d’une juriste sur le terrain. La démarche empirique a impliqué un apprentissage et une utilisation des outils de recherche et d’analyse développés par les sociologues et criminologues. La thèse est donc le résultat d’une recherche interdisciplinaire. La recherche empirique a notamment permis de mettre en évidence que la pratique judiciaire des TAP reflète une hybridation des paradigmes : elle s’inscrit à la fois dans le paradigme disciplinaire (visant à discipliner et transformer la personne condamnée) et à la fois dans le paradigme post-disciplinaire (qui donne priorité à la logique de gestion du risque de récidive sur la logique juridique et la réinsertion des personnes condamnées). Elle a aussi permis de constater dans la pratique des TAP la concrétisation de différentes grandes évolutions de la justice pénale : hybridation croissante entre judiciaire et thérapeutique ; contractualisation ; déploiement de la justice informelle avec pour conséquence un effacement du rituel judiciaire et une diminution des garanties procédurales ; exigence d’activation et de responsabilisation des justiciables dans un contexte de pénurie d’aide sociale ; maintien des alternatives à la prison dans le statut de « faveur ».