Cette tribune intitulée « La transaction pénale immédiate : enjeux et dangers d’une procédure extrajudiciaire » a été co écrite par Diletta Tatti, membre du GREPEC (Université Saint-Louis — Bruxelles), Emmanuelle Debouverie et Nathalie Vandevelde, membres de Fair Trials, et publiée dans La Tribune (n°221), le journal du barreau francophone
La procédure de transaction pénale, prévue à l’article 216bis du Code d’instruction criminelle, a été très largement utilisée pour le traitement des infractions Covid. Parallèlement à la transaction « classique », la transaction pénale immédiate s’est également développée dans ce contexte1. Cette procédure extrajudiciaire, prévue par une circulaire du Collège des procureurs généraux2, prévoit que la police propose au/à la suspect·e de s’acquitter d’un paiement immédiat, moyennant un terminal bancontact, le scan d’un QR code, ou encore au moyen d’un virement bancaire à effectuer endéans les 15 jours du constat. La circulaire COL 09/20213 du collège des procureurs généraux étend désormais cette procédure à une série de délits considérés comme mineurs : détention de stupéfiants pour usage personnel, vol simple (tel que le vol à l’étalage ou de vélo), détention et port d’armes prohibées (avec exclusion des armes à feu).
Désormais étendue, il ne faut pas négliger la part importante d’affaires pénales auxquelles cette procédure est susceptible de s’appliquer. En 2021, sur 420.359 délits enregistrés au niveau national, l’on comptait 62.815 infractions relatives à la santé publique (ou infractions Covid), 57.941 cas de vol sans circonstances aggravantes et 29.115 infractions à la législation sur les stupéfiants. Or la procédure de transaction immédiate, déjà vertement (et à juste titre) critiquée par les présidents d’AVOCATS.BE et de l’Orde van Vlaamse Balies4, est contestable tant en droit belge qu’en droit européen. La mise en œuvre de la procédure de constat et de répression des infractions Covid avait déjà révélé ses dangers pour le respect de l’état de droit. Les mêmes écueils sont à craindre dans le cadre de l’application de la circulaire COL 09/2021.
1. Un problème flagrant de légalité
La base légale de la transaction pénale immédiate visée dans la circulaire COL 09/2021 est pour le moins nébuleuse. D’une part, la circulaire se réfère à l’article 216bis C.I.cr. Or, cet article règle la transaction pénale « classique », qui est du seul ressort du ministère public. Aucune délégation de compétence à la police ne ressort de la disposition. Rappelons que le droit belge connaît deux contentieux auxquels peut s’appliquer la procédure de transaction pénale immédiate (ou perception immédiate) : le contentieux du roulage et le contentieux économique. Dans les deux cas cependant, un texte législatif prévoit explicitement cette procédure et en règle le fonctionnement5. En outre, les agent·e·s qui peuvent proposer une transaction immédiate y sont explicitement habilité·e·s, par une disposition légale ou règlementaire6. La circulaire COL 09/2021 se réfère quant à elle au « service de police verbalisant », sans autre précision. En matière de roulage par ailleurs, les montants et modalités de paiement sont fixés par arrêté royal7. Ensuite, la circulaire prend appui sur plusieurs articles du Code d’instruction criminelle8 : ceux-ci définissent les missions du ministère public (et non de la police) et son droit de requérir la force publique, mais ne fondent pas sa compétence à opérer une délégation de compétence que seule une loi peut prévoir. La circulaire cite également les articles 15-1° et 40 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police : ces deux articles indiquent clairement que les services de police transmettent les informations et procès-verbaux aux autorités compétentes, ils ne fondent aucune compétence autonome. Enfin, la circulaire COL 09/2021 autorise les procureurs du roi à étendre la procédure de perception immédiate à d’autres infractions, moyennant communication au procureur général, et, le cas échéant au collège des procureur généraux. Ici aussi, l’illégalité doit être soulevée : l’extension de la procédure est laissée à la seule appréciation du ministère public et ne relève d’aucune disposition légale.
2. Des pouvoirs accrus pour la police sans contrôle judiciaire suffisant
La procédure implique que le/la suspect·e reconnaisse les faits dans le contexte particulier du contrôle policier. Soulignons que la police n’est pas soumise à l’obligation de loyauté qui pèse sur le ministère public en vertu de l’article 28bis, §3, dernier alinéa C.I.Cr , et sur lequel prend appui la circulaire. La procédure s’applique pour les « infractions qui sont établies », et pour lesquelles « il n’y a donc que peu ou pas d’interprétation possible ». La formule n’exclut donc pas une certaine marge d’interprétation dont l’appréciation est laissée à la police, sans intervention d’un·e magistrat·e. En effet, ce n’est qu’en cas de non-paiement ou de contestation que le dossier (le formulaire et le procès-verbal) est remis à un·e magistrat·e du parquet pour examen et éventuellement, sera examiné par un juge, ce qui est rarement le cas. Dans le cas des infractions Covid, depuis le début de la crise sanitaire et jusqu’au 6 juin 2021 inclus, une transaction (immédiate) a été payée dans 52% des cas9. Dans les autres cas, seuls 12,7% des dossiers ont fait l’objet d’un jugement10. Or c’est devant un·e juge que les personnes accusées ont l’opportunité de se défendre, et surtout, que les actions des autorités répressives font l’objet d’un contrôle judiciaire.
Dans le cadre de la procédure de transaction immédiate, la police est donc à la fois chargée de constater, de poursuivre et de juger l’infraction, au mépris de garanties d’une procédure équitable pour le/la justiciable. Le recours à ce type de procédure dans l’objectif de gérer un flux important d’infractions dites “mineures” s’observe de manière générale dans toute l’Union Européenne11. Ces pratiques extra-judiciaires créent un environnement propice aux abus de pouvoir, à la discrimination et aux erreurs judiciaires12. À ce propos, 24,6% des dossiers d’infractions Covid qui sont arrivés entre les mains du ministère public (dans les cas où la transaction a été contestée ou n’a pas été payée) ont été classés sans suite pour cause de preuves insuffisantes ou d’absence d’infraction13. L’on imagine donc que souvent, des transactions immédiates sont acceptées et payées alors qu’un examen plus détaillé du dossier aurait conduit à un classement sans suite. C’est d’autant plus problématique que ce type de procédure incite les justiciables (surtout les plus vulnérables) à accepter la transaction, qu’ils/elles soient coupables ou non, plutôt que de risquer d’être cité·e·s devant le tribunal correctionnel (voir point 4).
3. Des droits de la défense inexistants
Au niveau de l’Union Européenne, des directives garantissent à tout·e suspect·e ou accusé·e dans le cadre d’une procédure pénale les droits suivants : être assisté·e par un·e avocat·e14, être informé·e de ses droits et de l’accusation portée contre soi, consulter le dossier répressif15 ou encore garder le silence16. Ces garanties ne s’appliquent pas dans la procédure de transaction immédiate. En effet, la circulaire prévoit que le/la suspect·e ne reçoit qu’un duplicata du formulaire contenant ses coordonnées et les modalités de paiement. L’envoi du procès-verbal n’est pas prévu, et rien n’est dit quant à la possibilité pour le/la suspect·e d’en obtenir une copie.
Dans la circulaire, l’usage d’une telle procédure est justifié par la nécessité de réagir rapidement et de manière visible à une criminalité qualifiée de “commune”. Au niveau européen, des arguments similaires ont été avancés lors des débats législatifs entourant l’adoption des directives. L’on a craint qu’une obligation pour les États Membres de garantir l’ensemble des droits procéduraux pour des affaires dites “mineures” ne compromette inutilement l’efficacité des enquêtes et ne conduise à des procédures disproportionnément lourdes17. En conséquence, les infractions mineures ont été exclues du champ d’application des directives : lorsqu’une autorité autre qu’une juridiction pénale est habilitée à imposer une sanction autre qu’une peine privative de liberté et qu’il est possible de contester cette sanction devant une juridiction pénale, ce n’est que devant celle-ci que les droits procéduraux entreront en jeu18. Vu le grand nombre de cas dans lesquels la transaction (immédiate) n’est pas contestée (voir point précédent), de nombreuses sanctions sont appliquées sans que les personnes n’aient eu accès à des informations sur leurs droits, aux preuves recueillies, à une audience ou à une possibilité formelle de présenter une défense. En l’absence de définition de la notion d’infraction mineure, l’ambiguïté des directives constitue un obstacle sérieux à la mise en œuvre complète, cohérente et équitable des droits procéduraux tels que consacrés par le droit de l’Union. Il y aurait certainement matière à poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne19.
4. Infractions mineures, conséquences majeures
L’usage des procédures extra-judiciaires et accélérées pour traiter les infractions dites “mineures” est en partie justifié par la légèreté des sanctions qui en découlent20. Ce présupposé est erroné. La circulaire prévoit des tarifs forfaitaires pouvant aller jusqu’à 400 euros pour les vols à l’étalage et de vélo, et jusqu’à 500 euros pour la possession de stupéfiants. Pour un grand nombre de suspect·e·s, cela représente une part importante des revenus mensuels21 et peut grandement impacter leur capacité à faire face à d’autres dépenses essentielles telles que les frais de nourriture, de logement, de santé ou d’éducation. L’on peut aussi s’interroger sur la légalité d’un tarif forfaitaire au regard du principe de l’individualisation et de la proportionnalité de la peine. Par ailleurs, difficile de qualifier ces infractions de “mineures” lorsqu’en cas de contestation ou de non-paiement, la personne s’expose à un renvoi au tribunal correctionnel et donc, à des peines d’amendes plus importantes et surtout, à d’éventuelles peines de prison22. En d’autres termes, ceux qui n’auraient pas les moyens de s’acquitter du montant d’une transaction s’exposent, contrairement aux autres justiciables, à des peines privatives de liberté. A cela s’ajouteront des frais de justice et d’avocat·e, les contributions au fonds pour les victimes d’actes intentionnels de violence et au fonds d’aide juridique ainsi qu’une inscription au casier judiciaire qui affectera leur situation professionnelle, personnelle et familiale. L’idée selon laquelle les personnes innocentes refuseront de payer la transaction relève donc du mythe : comme cela a été démontré ailleurs en Europe, il est souvent préférable – pour les personnes qui le peuvent – d’accepter la transaction, qu’elles soient innocentes ou non, plutôt que de s’exposer aux risques d’un renvoi correctionnel23.
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L’élargissement de la procédure de transaction immédiate est symptomatique de la prolifération, partout en Europe, des procédure simplifiées et extra-judiciaires. Ayant pour objectif une gestion plus rapide, fluide et efficiente24 du flux grandissant d’affaires pénales, elles relèguent au second plan les droits fondamentaux des personnes suspectées et renforcent les inégalités de traitement par la justice25. En outre, elles occultent toute réflexion quant à la dépénalisation des infractions « mineures », notamment en matière de consommation de stupéfiants. Enfin, on peut prévoir que ces procédures étendent davantage le filet pénal26, tout en sacrifiant les garanties de la justice au profit de l’ « efficience ».
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Référence bibliographique
Nederlandt, Olivia. Introduction du dossier « La peine ne s’arrête pas à la sortie de prison ». In: e-legal, Revue de droit et de criminologie de l’Université libre de Bruxelles, Vol. 2022, no.6, p. 1-14 (2022)
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http://hdl.handle.net/2078.3/263517